L’agro-alimentaire nourrira-t-il encore son homme?

En ciblant les 10 premiers groupes mondiaux du secteur agro-alimentaire, Oxfam rappelle que le monde agricole est tout à la fois l’un des premiers contributeurs au renforcement de l’effet de serre et un secteur particulièrement exposé aux conséquences des changements climatiques.

Haro sur l’agro. Tel est le mot d’ordre d’Oxfam. La confédération internationale d’ONG anti-pauvreté publie, ce mardi 20 mai, un rapport sur les responsabilites climatiques des 10 plus gros groupes mondiaux dans agro-alimentaires

En compilant les données d’émissions directes et indirectes (celles de leurs fournisseurs), Oxfam estime à 263,7 millions de tonnes équivalent CO2 (Mteq.CO2) le bilan carbone de ces Big Ten, dont Danone. «Si ces 10 entreprises était un pays, il serait le 25e plus gros pollueur du monde, rejetant plus de GES que la Finlande, la Suède, le Danemark et la Norvège réunis», indique le rapport.

LA FAIM PROGRESSERA
Mais là n’est peut-être pas l’essentiel. Le réseau d’ONG reproche surtout son inaction à ce secteur vital, malgré de récentes alertes.

L’étude rappelle que certaines des conséquences des changements climatiques renforcent l’insécurité alimentaire mondiale. «D’ici 2050, on comptera 50 millions de personnes et 25 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans malnutris de plus qu’aujourd’hui», affirment les rapporteurs.
D’après les calculs de l’organisation, inondations, sécheresses et événements extrêmes pourraient réduire les rendements des grandes cultures et faire bondir le prix de produits alimentaires de grande consommation. «D’ici 15 ans, le changement climatique va augmenter de 24% le prix des céréales Kix de General Mills et de 44% celui des Corn Flakes de Kellogg», prédit le document. Récemment, Paul Polman, patron d’Unilever, reconnaissait que les effets directs et indirects des changements climatiques coûtaient déjà 300 millions de dollars (219 M€) par an à son entreprise.

LE QUART DES ÉMISSIONS MONDIALES DE GES
S’ils s’engagent à réduire leurs émissions directes, les géants de l’agro-alimentaire ne bougent pas, en revanche, sur les rejets imputables au Scope 3, ceux de leurs fournisseurs

. Or le dernier rapport du Giec[2] estime à 24% le poids de l’agriculture et de la déforestation (largement causée par l’extension des cultures et de l’élevage) dans le bilan climatique anthropique. Pis, pour stabiliser le réchauffement à 2°C, les secteurs agricole et forestier devraient devenir des puits de carbone nets. La hausse annoncée de la demande en produits alimentaires laisse craindre que les émissions de ces deux secteurs ne bondissent d’un tiers d’ici 2050.
Le rapport d’Oxfam est publié au moment où un nombre croissant de scientifiques s’alarment des possibles effets du prochain épisode El Niño.

Une étude, publiée la semaine dernière dans Nature Communications, estime que les dérèglements climatiques générés par ce phénomène (Enso) peuvent diminuer (jusqu’à -4%) les rendements des productions mondiales de maïs, de riz et de blé.
En se basant sur différents critères -démographie, poids de l’agriculture dans le PIB et vulnérabilité aux conséquences du réchauffement-, Standard and Poor’s a publié, la semaine passée, une nouvelle évaluation des risques climatiques par pays.

Sans surprise, Bangladesh, Cambodge, Vietnam, Indonésie, Malaisie, Philippines, Mozambique ou Sénégal, y apparaissent comme particulièrement vulnérables à la montée du niveau de la mer, aux évolutions du régime des moussons ou à la sécheresse. Autant de pays qui sont aussi de gros fournisseurs de l’industrie mondiale agro-alimentaire…

[1] ABF, Coca Cola, Danone, General Mills, Kellogg, Mars, Mondelez International, Nestlé, PepsiCo et Unilever.
[2] Giec: Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat